mercredi 27 avril 2016

Débat CDD/CDI : La vérité des chiffres

La tribune 26/04/2016 - Olivier Passet, directeur des synthèses économiques de Xerfi.



En France on aime communiquer sur les chiffres qui font mal :  sur les 87% de nouvelles embauche en CDD... Pire encore sur les 70% en CDD de moins d'un mois, ce qui fait supposer au plus grand nombre, que si les choses continuent, ces proportions finiront par se retrouver dans les stocks. Voilà qui pourrait légitimer alors un pare-feu, par exemple une sur-taxation pour freiner la contagion du mal.

Surmédiatisation catastrophiste et idées fausses

La proportion des CDD dans la population est plutôt stable. Elle a fortement augmenté dans les années 80 - 90 après la loi sur le CDD d'usage, très permissive dans certains secteurs circonscrits, mais en revanche elle est stable depuis 10 ans. La part des CDD courts dans l'embauche indique donc surtout une précarisation croissante à l'intérieur des CDD, conséquence d'un raccourcissement des durées contrats, qui augmente mécaniquement la fréquence de ce type de recrutements.
Alors certes, c'est un vrai problème : la précarité est inégalement  répartie et concentrée sur un petit nombre. Tout cela conforte bien l'idée d'une minorité jouant un rôle tampon. Mais croire que rendre le CDI plus attractif auprès des employeurs, en réduisant les incertitudes sur les coûts prudhommaux et les motifs de licenciement et que de rendre maintenant le CDD plus répulsif en le surtaxant va faire basculer des CDD sur des CDI est illusoire.

La France n'est pas une exception

Le CDD d'usage, porte bien son nom. L'entreprise ne va pas lui substituer un CDI, à moins de faire sauter tous les droits attenants au CDI. De surcroît ces petits jobs intermittents ne singularisent pas la France. D'abord, parce que dans les pays anglo-saxons, dérégulés, il n'est pas nécessaire de recourir au CDD pour organiser un tel turnover. Le faible poids des CDD courts dans une économie, ne signifie pourtant pas que ce type d'emplois, à très forte rotation n'existe pas. Il prend d'autre formes (freelance, contrats zéro heures, temps partiel court etc.). Le CDD est juste une forme de précarité contractualisée, encadrée, plus repérable.
Il faut que la France admette que tous les pays qui ont réduit leur chômage l'ont fait sur la base d'un travail dégradé et fragmenté. La question de la trappe à pauvreté et à précarité traverse ainsi toutes les économies. La plupart des pays ont en revanche préféré la solution des temps partiels courts ou ultra-courts à celle des CDD intermittents (concentrant les baisses de charge, comme au Royaume-Uni ou en Allemagne par exemple sur les temps partiels ultra-courts). Mais la logique est la même : réduire la quotité horaire de travail par tête des moins qualifiés sur l'année, pour produire numériquement plus d'emplois (un partage des temps donc), avec un appauvrissement en contrepartie. La France est ainsi plutôt en bas l'échelle des pays développés en termes de temps partiel court et en haut de l'échelle en termes de travail temporaire (CDD et intérim).

L'instabilité française est-elle plus prononcée qu'ailleurs ?

Il n'existe aucune étude comparative pour l'étayer à ma connaissance. En tous les cas, il n'y a pas plus de personnes ayant moins de 6 mois d'ancienneté en France qu'ailleurs.
Et l'idée que ce piège de la précarité est plus fatal qu'ailleurs n'est pas mieux étayée. En France, sur la période  2002 - 2008, autrement dit avant crise, le passage par un emploi à durée limitée  semblait plutôt un « tremplin » vers  l'emploi stable.  Un salarié en CDD ou un intérimaire avaient respectivement trois et deux fois plus de chances qu'un chômeur d'accéder à un CDI d'un trimestre à l'autre que de tomber au chômage. Cette probabilité s'est réduite avec la crise, mais dans un contexte extrême. Et selon la DARES, La précarité des jeunes n'est pas définitive : 95% des 17 ans sont en travail temporaire. Cette proportion tombe à 24% pour les jeunes de 25 ans.
Faire contribuer d'avantage à l'assurance chômage les entreprises qui produisent de l'intermittence, selon le principe pollueur payeur. Verrouiller les abus. L'idée est certes très pertinente. Mais attention alors au moment où on le fait. Ne cassons pas en plein marasme les petites soupapes qui permettent aux chômeurs de ne pas être inoccupés à temps plein.

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