dimanche 28 février 2016

Le Groupement d'Employeurs des ostréiculteurs du Cotentin témoigne de la logique "anti CDI" du système actuel de l'assurance chômage

Extrait de Lexpansion.fr

La France est une grosse consommatrice d'intérim et de CDD... qui plombent l'assurance-chômage. Le sujet devrait être au coeur des négociations sur la nouvelle convention Unédic.

Quand il a créé son groupement d'employeurs pour les ostréiculteurs du Cotentin, Richard Jaunet avait de grandes ambitions. "L'idée était de construire des postes à temps plein, partagés entre nos artisans qui travaillent au rythme des marées, grosso modo une semaine sur deux, et d'autres employeurs, dans l'agriculture ou l'agroalimentaire", explique-t-il. Mais il a vite déchanté: "Les agriculteurs ont préféré continuer à travailler de leur côté avec des CDD. Quant à l'usine d'agroalimentaire du coin, elle a une agence d'intérim dans ses murs..." 

Il a ensuite imaginé proposer des CDI à mi-temps (quinze jours par mois) à ses ouvriers ostréicoles, plutôt que des CDD à répétition: "Mais la plupart refusent. C'est un boulot difficile, dans lequel ils ne veulent pas se projeter. En plus, ils perdraient leurs allocations-chômage, qui complètent leurs revenus pendant les périodes où ils ne travaillent pas..."  

Le sujet est tabou, peu de chefs d'entreprise acceptent d'en parler, mais de plus en plus d'experts se posent la question: certaines règles de l'assurance-chômage ne joueraient-elles pas un rôle dans l'explosion des contrats de travail de très courte durée ces dernières années? Entre 2000 et 2014, les embauches en CDD de moins d'un mois et en intérim ont bondi de 61%, alors que les recrutements en CDD plus longs et en CDI stagnaient.  

"La France concentre 40% des contrats de moins d'un mois signés dans toute l'Union européenne", constate l'économiste Philippe Askenazy. Une spécificité que les turbulences économiques et le manque de visibilité des chefs d'entreprise ne suffisent pas, à eux seuls, à expliquer. Pas plus que la rigidité de notre droit du travail ni la forte protection dont bénéficient les salariés en CDI: "Je ne vois pas quelles réformes, ces dix dernières années, auraient pu avoir un tel effet", estime Pierre Cahuc, coauteur d'une étude sur le sujet pour le Conseil d'analyse économique (CAE).  

La question, en tout cas, préoccupe le patronat et les syndicats chargés depuis fin février de renégocier la convention d'assurance-chômage. Et pour cause: les fins de CDD et de missions d'intérim coûtent bien plus cher à l'Unédic que les ruptures de CDI. "C'est notre premier sujet", insiste Véronique Descacq, la négociatrice de la CFDT, qui espère "trouver les bonnes incitations pour allonger la durée des contrats". "Cela va être un point important de nos discussions, confirme-t-on au Medef. L'idée serait de faire évoluer les paramètres de l'indemnisation de façon à attaquer les abus, sans pour autant fragiliser ceux qui subissent cette situation."  

Enchaîner indéfiniment des CDD de quinze jours

Autant le dire tout de suite, cela ne va pas être simple. Le premier problème vient d'un défaut de conception dans le mode de calcul de l'indemnisation. "C'est complexe mais, en résumé, quelqu'un qui se retrouve au chômage après des CDD ou des missions d'intérim de quinze jours par mois aura une allocation supérieure au salaire dont il disposait en travaillant", explique Bruno Coquet, auteur de L'Assurance-chômage, une politique malmenée (L'Harmattan).  

A cela s'ajoute la possibilité de cumuler, en cas de reprise d'emploi de courte durée, une partie de l'allocation-chômage avec un salaire. Chaque période travaillée permet, en outre, de prolonger d'autant les droits à indemnisation. Le tout dans un objectif louable: inciter les chômeurs à accepter des jobs, même de courte durée, afin de rester dans le circuit et de maintenir leur "employabilité". "Au fil des négociations, les partenaires sociaux ont peu à peu levé tous les freins à ce cumul, toujours dans l'idée d'encourager la reprise d'emploi. Mais finalement, on peut se demander s'ils ne sont pas allés trop loin", constate Jean-Paul Domergue, ex-directeur juridique de l'Unédic, membre de Solidarités nouvelles face au chômage.   

D'après les calculs du CAE, ces différentes règles font qu'un salarié licencié de son poste pourrait ensuite tout à fait enchaîner indéfiniment des contrats de quinze jours par mois en gagnant 80% de son ancien salaire. Dit autrement, le gain à travailler quinze jours de plus n'est finalement pas très important. D'où le risque qu'une frange de la population ne s'installe, volontairement ou non, dans cette précarité. Et que l'assurance-chômage ne finisse par jouer le rôle de complément de salaire - ce qui n'est pas son objectif.  

On touche là au coeur du sujet : les contrats courts sont-ils vraiment un " tremplin " vers l'emploi durable? Pôle emploi a fait travailler plusieurs équipes de chercheurs sur cette question... mais peine encore à trancher. " Il semble qu'exercer une activité réduite facilite effectivement le retour à un CDI ou à des CDD longs par rapport à l'inactivité totale, mais il est difficile de dire si les personnes concernées n'auraient pas fini par accéder à un poste pérenne de toute façon ", résume François Aventur, à la Direction des études de Pôle emploi.  

Le métier recherché paraît jouer un rôle important. Des chercheurs ont ainsi testé des CV avec des profils différents (précaire ou encore en poste) auprès de recruteurs: un parcours haché, fait de CDD, ne sera pas un obstacle à une embauche comme serveur, mais constituera un vrai frein sur des emplois de comptable ou d'assistant commercial.  

Ne pas perdre le filet de sécurité des allocations

A l'Unédic, on a aussi planché sur la question. Pierre Cavard, le directeur des études, a analysé les trajectoires sur dix ans des chômeurs indemnisés en 2011. Sur 2,6 millions fréquemment en contrat court, seuls 560000 avaient retrouvé un emploi pérenne en 2014. Les autres continuaient à alterner emploi et chômage. Mais de façon le plus souvent involontaire, insiste cet expert: "Dans un contexte où les offres sont rares, il s'agit surtout, pour les demandeurs d'emploi, de ne pas perdre le filet de sécurité des allocations."  

Comme Xavier, un Parisien de 40 ans à la recherche d'un poste dans la création Web: "En attendant, je multiplie les jobs dans l'alimentaire de luxe et la téléphonie, une semaine par-ci, un mois par-là, parfois même un jour, pour prolonger mes droits au chômage." Mais l'optimisation délibérée serait aussi une réalité. Ce haut responsable dans le secteur de l'intérim en est convaincu: "Une part de nos salariés a bien compris le système et surfe entre travail et chômage, allant parfois jusqu'à refuser des missions", constate-il.  

Travailler deux fois moins en gagnant presque autant 


Et, du côté des entreprises, n'y aurait-il pas aussi la tentation de faire assumer le coût de leur flexibilité par l'assurance-chômage? "La réembauche, c'est-à-dire le fait de recruter plusieurs fois de suite la même personne sur des contrats courts, pose question, notamment dans les secteurs où elle est très répandue", indique Pierre Cavard. L'Unédic vient d'ailleurs opportunément de publier une étude sur le sujet. Et le monde du spectacle, où cette pratique est de notoriété publique, est loin d'être le seul concerné.  

Dans le viseur des experts, on trouve aussi la sécurité, la publicité, les services à la personne, la formation, ou encore l'hôtellerie-restauration. "Nous savons que certains hôteliers utilisent des logiciels pour optimiser le temps de travail qu'ils proposent aux salariés, et faire assumer par l'Unédic leurs creux d'activité..." déplore Véronique Descacq, à la CFDT.  



"Cela devient un véritable business model"

La question, en tout cas, agace jusque dans les rangs du Medef. "Quand un employeur recrute dix fois par an la même personne, on n'est plus dans un système où on répond à un besoin de remplacement ou à une hausse temporaire d'activité. Cela devient un véritable business model. Mais ce n'est pas compatible avec une bonne gestion de l'assurance-chômage", s'énerve un responsable patronal.  

Les secteurs où le CDI reste la règle sont en effet financeurs nets de l'Unédic, dont les comptes sont plombés par ceux qui abusent des contrats courts. Mais d'autres règles, en dehors de l'assurance-chômage, ont aussi pu jouer dans la montée des petits boulots. La simplification des procédures administratives de recrutement, l'élargissement des cas de recours aux CDD d'usage ou encore la réforme de la médecine du travail avec la fin de la visite d'embauche systématique. "A chaque fois, l'idée était de faciliter la vie des entreprises, pour encourager les recrutements. Mais peut-être est-on allé trop loin", ajoute Philippe Askenazy.  


Est-il seulement possible, aujourd'hui, de faire machine arrière? En période de crise, les syndicats ne veulent pas toucher aux paramètres de l'indemnisation chômage - au risque sinon de mettre un peu plus en difficulté les demandeurs d'emploi. "L'essentiel serait de modifier les incitations sur les entreprises", plaide Pierre Cahuc. Depuis 2014, les cotisations d'assurance-chômage acquittées par les employeurs sur certains CDD de moins de trois mois ont déjà été relevées. Mais l'intérim en est exclu, et il y a beaucoup d'exemptions sur les CDD.  

"Il faut aller plus loin", insiste Bruno Coquet, proche de l'Institut de l'entreprise. Cet expert défend la création d'une cotisation employeurs dégressive sur tous les contrats (CDI, CDD, intérim...). Elle démarrerait à environ 10% le mois suivant l'embauche, et baisserait à 3,6% au bout d'un an, soit un niveau inférieur à celui acquitté aujourd'hui. "A ce système, 80% des entreprises seraient gagnantes", assure-t-il.  

Reste à convaincre les 20% de perdantes... En attendant, Pôle emploi s'est engagé à essayer de mieux accompagner les précaires - un public plutôt négligé jusqu'ici.  

+ 61%
C'est la hausse du nombre d'embauches en CDD de moins d'un mois, entre 2000 et 2014. Sur la même période, les recrutements en CDD plus longs et en CDI ont stagné.  

40%
De tous les contrats de moins d'un mois signés dans l'Union européenne sont conclus en France.  

69%
Des embauches sont en fait des réembauches chez le même employeur. Cette part atteint 84% pour les personnes recrutées en CDD de moins d'un mois. 

On a l'impression que le gouvernement et l'UNEDIC découvrent ce qu'ils ont créé au fil des années avec la suppression du chômage saisonnier puis l'accès facilité à l'activité réduite, puis les droits rechargeables et enfin la prime d’activité. Rien n'incite effectivement les salariés à travailler à temps complet en CDI s'ils ne sont pas à la recherche d'un emploi stable. C'est un problème central qui devrait être au cœur des débats du séminaire ministériel d'avril "oser les groupements d'employeurs"...et qui n'y sera pas....
Les membres de la plateforme "inter-fédérale" réunissant la FFGEIQ, l'UGEF, la FNGEAR et la FNPSL n'ont réussi à s'entendre que sur deux modestes revendications communes qu'ils ont adressées à tous les Ministères concernés: 
-un allongement dans la temps pour la provision du risque solidaire 
- et la transparence fiscale vis à vis des adhérents en matière de TVA....

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire