lundi 18 mars 2013

Les salariés des groupements d'employeurs sont désormais éligibles à la Délégation Unique du Personnel (CE/DP) de l'entreprise utilisatrice




Les travailleurs mis à disposition d’une entreprise (y compris ceux d'un groupement d'employeurs), qui remplissent les conditions fixées par le Code du travail pour être éligibles en qualité de délégué du personnel peuvent, à ce même titre, en l’absence de dispositions légales y faisant obstacle, être candidats à la délégation unique du personnel (DUP). Telle est la solution rendue par la Cour de cassation qui prend ainsi le contre-pied de l’Administration.
Dans cette affaire, une société exploite un hôtel comportant moins de 200 salariés. Elle a fait le choix d’organiser la représentation du personnel dans le cadre d’une délégation unique du personnel (DUP) conformément aux dispositions del’article L. 2326-1 du Code du travail. Lors du renouvellement de cette institution, trois salariés mis à disposition dans l’hôtel présentent leur candidature.

La société hôtelière saisit le Tribunal d’instance de Paris afin que soient annulées les candidatures de ces trois salariés à la DUP. Elle estime en effet que la DUP exerce incontestablement les attributions du CE. Dès lors, l’exclusion légale des salariés mis à disposition de l’élection des membres du CE doit s’appliquer également à la DUP.

Le tribunal ayant fait droit à cette demande, les trois salariés ainsi qu’une union syndicale se pourvoient directement en cassation comme il est d’usage lors du contentieux des élections professionnelles. Selon eux, aucune disposition législative n’exclut le droit pour les salariés mis à disposition d’être éligibles pour les élections de la DUP de l’entreprise utilisatrice. La Cour de cassation retient cette argumentation.

Pour comprendre cette solution, revenons sur les conditions générales d’éligibilité des salariés mis à disposition et plus particulièrement, sur celles applicables dans le cadre d’une DUP.
ÉLIGIBILITÉ DES SALARIÉS MIS À DISPOSITION

Les salariés mis à disposition ont la possibilité d’être élus au sein des instances représentatives du personnel de l’entreprise d’accueil. Toutefois, leur éligibilité est strictement règlementée.

Ainsi, ils peuvent uniquement se présenter aux élections des délégués du personnel (C. trav. art., L. 2314-18-1). Pour cela, ils doivent :
  •     remplir les conditions pour être décomptés dans les effectifs de l’entreprise utilisatrice (c’est à dire être présents dans ses locaux et ce depuis au moins un an :  C. trav. art., L. 1111-2, 2o) ;
  •     être présents dans l’entreprise utilisatrice depuis 24 mois continus.

Mais les salariés mis à disposition ne peuvent pas se présenter aux élections du CE de l’entreprise d’accueil (C. trav., art. L. 2324-17-1, al. 1er). Ils ne peuvent qu’être électeurs (C. trav., art. L. 2324-17-1).
Ceux-ci ne peuvent donc plus être désignés représentants syndicaux au CE dans les entreprises de plus de 300 salariés car ils ne remplissent pas la condition d’éligibilité au CE exigée par le Code du travail (C. trav., art. L. 2324-2 ;Circ. DGT no 2008-20, 13 nov. 2008, fiche 6).
Pour autant, cette règle ne signifie pas que les salariés mis à disposition soient totalement absents du CE de l’entreprise utilisatrice. En effet, des salariés mis à disposition dans l’entreprise d’accueil, peuvent y être désignés en qualité de délégués syndicaux. Pour cela, il doivent obtenir 10 % des suffrages au premier tour des élections professionnelles des délégués du personnel et avoir fait le choix d’y exercer ces droits. De manière générale, le choix du salarié désigné appartient au seul syndicat dont il est le mandataire (Cass. soc., 13 janv. 2010, no 09-60108). Or, il convient de noter que dans les entreprises de moins de 300 salariés, le délégué syndical est, de droit, représentant syndical au comité d’entreprise ou d’établissement (C. trav., art. L. 2143-22). Dès lors, il semble possible qu’un salarié mis à disposition puisse être désigné RS au CE dans ce type d’entreprise.


Faut-il également exclure les salariés mis à disposition de l’éligibilité à la DUP ? La circulaire du 13 novembre 2008 précise que « la règle de l’inéligibilité s’applique aussi pour la DUP en tant qu’elle exerce les attributions du CE » (Circ. DGT no 2008-20 du 13 nov. 2008, fiche 6). Les Hauts magistrats en ont décidé autrement.
ÉLIGIBILITÉ DES SALARIÉS MIS À DISPOSITION À LA DUP

Dans les entreprises de moins de 200 salariés, l’employeur peut organiser la représentation du personnel dans le cadre d’une DUP (C. trav. art., L. 2326-1). Cet organe exerce à lui seul l’ensemble des attributions classiquement exercées par le CE et les DP.

Partant, le pourvoi formé par la société relevait que l’exclusion légale de l’éligibilité des salariés mis à disposition prévue pour le CE doit s’appliquer également à la DUP. À cet égard, elle rappelait que Conseil constitutionnel n’a pas jugé contraire à la Constitution la disposition de la loi du 20 août 2008 écartant l’éligibilité du salarié de l’entreprise utilisatrice.

La Cour de cassation ne retient pas cette argumentation. Elle réalise une interprétation littérale des textes et s’oppose à la vision de l’administration dans sa circulaire du 13 novembre 2008. Aucune disposition législative n’exclut le droit pour les salariés mis à disposition d’être éligibles pour les élections de la DUP de l’entreprise utilisatrice, ils ne peuvent donc pas être écartés de l’accès à cette instance. Ils sont parfaitement éligibles à la DUP.


En pratique, cet arrêt est susceptible de poser de nombreuses difficultés dans les entreprises. En effet, la DUP exerce de façon cumulative et en totalité les attributions des DP et du CE. Or, si la délégation est unique, les attributions demeurent distinctes. Les membres d’une DUP exercent les attributions spécifiques de l’une ou de l’autre de ces institutions. Malgré leur éligibilité à la DUP, les salariés mis à disposition ne devraient pas pouvoir participer aux réunions de la DUP quand elle se réunit en tant que CE. En ce sens, ils seraient par exemple dans l’impossibilité de prendre part à l’élaboration et suivi du plan de sauvegarde de l’emploi ou à tout projet de licenciement d’un salarié protégé. Toutefois, les salariés mis à disposition seraient susceptibles d’assister aux réunions du comité en tant que RS au CE le cas échéant (C. trav., art. L. 2143-22 ; voir ci-dessus). Dès lors, l’employeur qui convoque la DUP devrait à notre avis indiquer en quelle qualité les membres sont convoqués et procéder à deux réunions successives (C. trav., art. L. 2326-1 à C. trav., art. L. 2326-3 ; Circ. DRT no 94-9, 21 juin 1994).

La Cour de cassation ne donne dans l’arrêt aucune indication sur les suites pratiques d’une telle éligibilité à la DUP. Il reviendra aux tribunaux de mettre un terme à cette incertitude.

Cass. soc., 5 déc. 2012, no 12-13.828 P+B

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